Les Mémoires Vivantes de la Shoah

Chercher à repérer dans notre société ce qui a été transmis par la Shoah, le comprendre et faire savoir ce qui perdure de ce nouveau paradigme

Observatoire « Victor Klemperer »

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« Le poison est partout. Il traîne dans cette eau qu’est la LTI, personne n’est épargné. »
Victor Klemperer

« Les chiffres et les faits furent les moyens mêmes, bien avérés, des assassins.
L’homme comme numéro est une des horreurs de la déshumanisation. »

Aharon Appelfeld

En 1933, Victor Klemperer commence un journal, dont il considère l’écriture comme une stratégie de survie mentale. Et c’est ainsi qu’il en vient à étudier celle qu’il dénomme la Lingua Tertii Imperii.

Victor Klemperer avait commencé par fuir toutes les manifestations de la LTI ; mais lorsque l’accès aux bibliothèques et à la presse lui fut interdit, et devant les brimades et les souffrances que ce régime lui a fait endurer, cette étude, en philologue qu’il était, est devenu le balancier qu’il tenait pour se maintenir en équilibre psychique.

Lorsqu’il réalise, après la guerre, la synthèse de ses observations, sous le titre LTI, La langue du IIIe Reich, carnets d’un philologue, il affirme : « Mettre en évidence le poison de la LTI et mettre en garde contre lui, je crois que c’est plus que du simple pédantisme. Lorsque, aux yeux des Juifs orthodoxes, un ustensile de cuisine est devenu cruellement impur, ils le nettoient en l’enfouissant dans la terre. On devrait mettre beaucoup de vocables en usage chez les nazis, pour longtemps, et certains pour toujours, dans la fosse commune. ». Ce faisant, il nous ouvre une voie que la situation actuelle de notre société nous amène à devoir emprunter.

Après les langages post-humains, le désenchantement du monde, on entend depuis quelque temps des voix s’élever pour déplorer que notre société soit en train de se déshumaniser. Mais elles prêchent dans le désert. L’homme vient tout juste de prendre conscience qu’il est en train de détruire son habitat ! Il n’est pourtant pas près de se donner les moyens de le préserver. La pulsion de destruction a encore de beaux jours devant elle. Elle n’est pas en voie d’être sublimée !

Un signal fort de ce processus de déshumanisation est représenté par le repérage des éléments totalitaires dans notre vie quotidienne et particulièrement dans la langue.

La langue est blessée, polluée, empoisonnée, « le poison est partout. Il traîne dans cette eau qu’est la LTI, personne n’est épargné. ». Elle est altérée : certains signifiants ont perdu leur polysémie.

V. Klemperer avait noté l’usage de l’abréviation, emblématique de la LTI. « L’abréviation moderne s’instaure partout où l’on technicise et où l’on organise. ». On ne peut que constater la prolifération des sigles dans notre société. L’emploi des sigles est une expression manifeste de l’euphémisation. Le sigle change le sens, en l’appauvrissant. Et c’est sans compter les innombrables abréviations dans toute entreprise, université, institution, qui substitue à un langage signifiant, des formules pour initiés.

Face à ces blessures de la langue, à cette pollution, véritable empoisonnement, peut-on envisager un antidote ?

Fort de ce constat, il est devenu vital qu’en nous inspirant du travail de Victor Klemperer, nous exercions notre vigilance quant à la présence de « traces » de totalitarisme dans notre société. À cette fin, je propose la création d’un observatoire Victor Klemperer qui aurait pour visée de collecter les éléments qui expriment le processus de déshumanisation en cours dans notre société, et tout particulièrement les éléments totalitaires qui infiltrent la langue.

Quel saurait être l’intérêt d’une telle collecte. Il ne s’agit évidemment pas de monter une collection !

La pollution de la langue provoque son altération : certains signifiants ont perdu leur potentialité polysémique. C’est le propre des régimes totalitaires de figer les mots, par exemple dans un processus d’euphémisation.

La fonction de l’observatoire est alors d’attirer l'attention, le regard, temps nécessaire pour permettre une Durcharbeitung, un travail d’élaboration. Il va amener à une prise de conscience de la signification imposée, première étape avant sa mobilisation puis sa chute. Le signifiant pourra alors se rouvrir à la pluralité des sens, indispensable à l'équivocité du discours, et à sa dynamique

Ce travail ne peut se faire sans chacun d’entre vous et vous êtes vivement invité à y participer.

La validité d’une telle démarche impose une grande rigueur dans le recueil des informations. Tout informateur-sentinelle se doit de citer précisément ses sources, voire le cas échéant de les joindre, et de signer son texte.

Daniel Lemler / Janvier 2014

→ Vos contributions sont à envoyer à l’adresse memoiresvivantesdelashoah@gmail.com
→ Merci d'inscrire "MVS/observatoire/proposition" dans l'objet du courriel.

" Communication "

Ce mot jadis qui mettait en lien des individus par leur humanité commune et permettait l’échange, voire la transformation de soi, est devenu le vide de la langue, son instrumentalisation extrême dans l’oubli de son instrumentalisation, le langage policé et réduit au seul mot d’ordre. Le mot d’ordre est contraire à l’échange : le mot d’ordre qui se masque dans l’appropriation des normes les plus restreintes, « politiquement correct » ou « parler vrai », que rien ne déborde, que rien ne soit dit. Communiquer est devenu le contraire de dire.

Désormais la communication est du côté de l’image – image comme telos, ou image au sens littéral. Elle se passe de mots, sinon de mots tout faits prêts à l’emploi et vidés de leur sens, au profit d’une image – image de marque, image icône, image, qui est encore un euphémisme pour dire construction d’une légende, ou plus vulgairement mais plus littéralement, se faire bien voir. Se faire voir et se faire bien voir. Sachant que le bien qualifie le visible, et non pas la valeur du visible : être bien vu, égale, être vu. Peu importe ce qui est vu, ce qui compte c’est l’enveloppe, fabriquée à partir des normes en vigueur, ie le plus petit dénominateur commun de l’éthos collectif, ce qui se fait, ce qui se dit, ce qui se montre – ce qui empêche donc toute forme de communication. La communication contemporaine est devenu l’antithèse de la communication dans son acception ancienne, avant que la communication ne devienne un secteur d’activité scandaleusement rémunérateur, avant que la publicité prenne le pas sur le produit, et que l’emballage soit à la fois plus cher et plus valorisé que ce qu’il masque. Le masque est le produit, le masque est le vide de notre société, et c’est sur cela que nous communiquons.

Aliénation d’une humanité où l’échange est banni, déni d’une altérité, parole totalitaire : marque incontestable parce qu’invisible de déshumanisation.

→ Auteur : Mazarine Pingeot
→ Date : 28 janvier 2014

" Image "

Nous sommes saturés d’images. Photos, reportages, télévision, internet, l’image est l’instantané qui divertit chaque instant du quotidien, qui n’a plus vraiment valeur d’illustration, ni d’art en soi, mais qui équivaut au fait. Les écrans sont la nouvelle médiatisation d’un monde, ou le nouveau rapport au monde. Mais l’image, outre sa profusion, est devenue axiologique. On travaille sur son image. L’image de la marque, l’image de la société, l’image de l’entreprise, relativement à laquelle les plans de licenciements doivent paraître plus humains, l’image d’un homme politique. De l’image sainte à l’image costume, de l’image costume à l’image en guise d’être. L’image comme renvoie à autre chose qu’elle-même (Platon), à l’image comme être en soi, ou comme néant. Progrès de déshumanisation. Ou comment le masque ne cache plus rien, mais donne à montrer le vide...

→ Auteur : Mazarine Pingeot
→ Date : 28 janvier 2014

le Stück, projet de monnaie locale

Au moment où je rédige ce papier avec cette proposition d'observatoire, je découvre dans les DNA (14 janvier 2014) que Strasbourg envisage de se doter d'une monnaie locale, le Stück. Cette idée met bien en évidence la limite de l'efficacité des "devoirs de mémoire". Peut-on imaginer une société de consommation qui assumerait qu'elle prend sa source dans la logique nazie de l'euphémisation. En effet, le Stück est un des substituts d’être humain dans la LTI.

Vous trouvez cette référence chez Primo Lévi lorsqu’il entend durant le voyage un Allemand demander : Wieviel Stück ?. Voilà le passage : «  Avec la précision absurde à laquelle nous devions plus tard nous habituer, les Allemands firent l'appel. À la fin, l'officier demanda: " Wieviel Stück ?" ; et le caporal répondit en claquant les talons que les "pièces" étaient au nombre de six cent cinquante et que tout était en ordre. ».

La déshumanisation est, là, symboliquement exprimée de façon forte.

→ Auteur : Daniel Lemler
→ Date : 20 janvier 2014
→ Source : Journal Les dernières nouvelles d'Alsace, 14 janvier 2014
→ Bibliographie : Primo Levi(1947) Se questo è un uomo, Si c'est un homme, 1987, Juillard

Abréviation : la GPA

Qui se rappelle encore de ce que signifie GPA ? On a d’abord parlé de « mères porteuses ». Ce concept a heurté. Il supposait qu’on avait affaire à des mères qui portaient l’enfant d’une autre. Difficile de ne pas penser de lien entre la mère porteuse et l’enfant qu’elle porte, ou de ne pas se poser la question de l’instrumentalisation de son corps. La « gestation pour autrui » efface, d’un seul coup, la mère et la grossesse ; elle met le projecteur sur l’altruisme qui élimine le soupçon d’instrumentalisation. La GPA enfin efface toute signification.

→ Auteur : Daniel Lemler
→ Date : 20 janvier 2014

Abréviation : le TOC

La création des TOC, de la même manière, a permis la disparition pure et simple de la névrose. Le rituel obsessionnel, comme symptôme, est dans un premier temps devenu trouble, perdant ainsi tout accès à une interprétation. En évoluant en TOC, il est devenu une pathologie à part entière, accessible à un traitement chimiothérapique et comportemental spécifique.

→ Auteur : Daniel Lemler
→ Date : 20 janvier 2014

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